Être à la fois sépharade et hassid Breslav à Montréal

Entretien avec Saadia Sidney Elhadad par Dr Sonia Sarah Lipsyc

Saadia Sidney Elhadad

Saadia Sidney Elhadad

Depuis quand existe-t-il des sépharades se reconnaissant dans le courant hassidique Breslev à Montréal ? Combien de familles ou d’individus composent ici ce courant ? Quelles sont vos principales structures (synagogue, centre étude, école) ?

Le courant hassidique Breslev est présent à Montréal depuis plus d’une vingtaine d’années. Il y a 75 familles affiliées au centre Breslev qui regroupe un noyau de 300 à 500 individus. La structure qui les accueille : synagogue, centre communautaire et centre d’études ainsi qu’un mikvé (bain rituel) pour hommes est située sur la rue Westminster à Côte-Saint-Luc (Montréal).

Comment définiriez-vous en quelques lignes le courant et la pensée hassidiques Breslev ?

Rabbi Nahman de Breslev (1772-1810), arrière-petit-fils du Baal Shemtov (1698-1760), le fondateur du hassidisme, est l’auteur de l’ouvrage, le Likoutei Moharan et d’autres œuvres sacrées. À une époque qui fut aussi agitée que désastreuse pour l’histoire juive, il s’efforça de raviver la flamme d’un peuple tourmenté et fit briller la lumière de l’espoir. Fidèle aux fondements du hassidisme (mouvement piétiste ndr), il sut répandre des sources vivifiantes, et ainsi les Juifs reprirent goût à la vie. Il fut et demeure un moteur dynamique et révolutionnaire du judaïsme. Son appel à l’accomplissement de la Torah par la joie et la ferveur continue de stimuler encore les jeunes, les résignés, et à éveiller les désespérés. Il répond à un véritable besoin pour chaque génération. En réaction à une certaine étude de la Torah jugée trop académique et réservée généralement à une élite, Rabbi Nahman vient enseigner une nouvelle approche pour servir Dieu en privilégiant la prière, la hitbodedout (moment de retraite)1 en tant que commandement exemplaire au regard de la pensée hassidique Breslev. Le courage, le renouveau, le bonheur et la joie sont les piliers des enseignements Breslev.

En fait, Rabbi Nahman n’a fait que restaurer les anciens chemins que nos pères avaient empruntés depuis toujours. C’est pour cela que beaucoup de sépharades se sentent très à l’aise et proche de ses enseignements.

Justement, comment est il compatible d’être un hassid Breslev et d’assumer son héritage sépharade ?

Rechercher toujours le point positif chez soi et même chez le mécréant est essentiel pour la téchouva, le repentir et le progrès spirituel. Rabbi Nahman nous fait retrouver les sourires, les visages lumineux et affectueux qu’étaient ceux de nos ancêtres du Mellah et qui vivaient dans la plus grande sainteté, simplicité et confiance en D.ieu. Le lien est très fort car il nous reconnecte avec nos racines ancestrales. La beauté de la Hassidout, de la pensée hassidique Breslev, c’est que chacun maintient ses coutumes, son habit, ses halachot (lois), son rite de prières.

Donc en fait, on demeure fidèle à cent pour cent à notre patrimoine sépharade tout en se laissant inspirer par les enseignements et les conseils du Tsadik (juste ici Rabbi Nahman ndr) qui nous permettent de surmonter nos difficultés.

Rabbi Nahman a enjoint avec beaucoup d’insistance, de son vivant et même après son départ prématuré à l’âge de 38 ans seulement, à tous ses disciples et tous les Juifs de venir se recueillir sur sa tombe la veille de la fête du Nouvel an, Roch Hachana.

Il a expliqué que D.ieu lui a fait ce cadeau et qu’il pouvait alors opérer les réparations (tikounim) sur la nechama, l’âme de chacun et chacune d’entre nous. Il était formel dans cette promesse de réparation générale et aujourd’hui à Roch Hachana, plus de 55 000 hommes et enfants se réunissent dans ce kibboutz grandiose à Ouman en Ukraine (là où Rabbi Nahman est enterré ndr). Ce qui constitue pratiquement le plus grand rassemblement de Juifs à l’extérieur d’Israël. Il a promis que son feu brillera jusqu’à la venue du Machiah, du messie, et c’est bien vrai.

Vous sentez-vous intégré au sein de la communauté sépharade de Montréal ou en rupture avec elle ?

En parfaite symbiose et harmonie avec tous les membres de la communauté sépharade, et ses différents organismes communautaires : Fédération, écoles, centres communautaires…

Que répondez-vous à celles ou ceux qui s’étonnent que des sépharades au moment de Rosh Hashana quittent leurs familles pour se rendre au pèlerinage à Ouman sur la tombe de Rabbi Nahman de Breslev? Est-ce que cela ne crée pas des frictions au sein des familles « at large » (parents, grands parents, etc.) ?
Roch Hachana est le jour du jugement et il faut donc accroître autant que possible ses mérites personnels et multiplier les prières pour obtenir la clémence divine.

Or il n’est pas de meilleur plaidoyer que celui d’un juste, et c’est pourquoi Rabbi Nahman exhorte tous ses disciples et même tous les Juifs à venir se recueillir sur sa tombe à cette période. Le Shoulkhan Aroukh, le code de la loi juive recommande d’ailleurs de se recueillir sur la tombe des saints, la veille de Rosh Hashana (voir Lois sur Rosh Hahana alinéa 581 dans le tome de Orah Hayim du Shoulkhan Aroukh) Plus encore, Rabbi Nahman a promis à quiconque récite sincèrement et ardemment le Tikoun Haklali 2, près de sa sépulture, une foule de bénédictions matérielles et spirituelles.

Si autrefois, l’idée de quitter son foyer pour célébrer le jour de l’An à Ouman semblait quelque peu étrange, c’est aujourd’hui une pratique communément admise, qui réunit plus de 55 000 fidèles sur la tombe du grand maître. Qui plus est avec l’approbation et la bénédiction de toutes les épouses juives vertueuses.
Durant toute l’année des centaines de visiteurs débarquent au quotidien à Ouman. C’est un phénomène qui dépasse la logique, mais force est d’admettre que le peuple d’Israël a toujours transcendé la logique humaine surtout lorsque l’on constate les bienfaits de ces pèlerinages.

Il y a à Montréal depuis des dizaines d’années une communauté Breslev ashkénaze et yiddishisante. Êtes-vous en contact avec elle ?

En effet, elle existe et nous formons un pont très intéressant entre les communautés hassidiques et séfarades et qui n’existait pas auparavant. « Am Israël EHAD », le peuple d’Israël est un.

Existe-t-il une autre communauté Breslev et sépharade organisée comme la vôtre dans le monde ou Montréal est-il un exemple unique ?

Il en existe plusieurs en Israël, une à Miami, à Paris et peut-être ailleurs j’imagine.

Rabbi Nahman a déclaré : « mon feu brillera jusqu’à la venue du Machiah (messie) » et donc heureuse est notre génération d’avoir un guide si précieux qui a crié du fond de l’Ukraine : « le désespoir n’existe pas ».

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Dr Sonia Sarah Lipsyc

Sonia Sarah Lipsyc est directrice de ALEPH,le Centre d’Études Juives Contemporaines de la Communauté Sépharade Unifiée du Québec (CSUQ), depuis sa création en 2009. Docteur en Sociologie, Sonia Sarah Lipsyc est également auteure, chercheure, enseignante et dramaturge. Elle est chercheure associé à l'Institut d'Études Juives Canadienne de l'Université Concordia (Montréal). Elle a créée, en 2012, une unité de Recherches au sein de ALEPH sur «Judaïsmes et Questions de Société» ainsi qu'un site de ressources sur ces thématiques (http://judaismes.canalblog.com). Elle a notamment écrit "Salomon Mikhoëls ou le testament d'un acteur juif" (2002) et dirigé la publication de Femmes et judaïsme aujourd’hui, In Press (2008). «Eve des limbes revenue ou l'interview exclusive de la première femme (ou presque) de l'humanité» a été mise en ondes sur France Culture (2011) et mise en espace en anglais à l'Université de Brandeis (Boston) en 2012. Sa dernière mise en scène, «Sauver un être, sauver une monde» a été représentée devant des centaines d'élèves du secondaire à Montréal. Elle a participé à plus de cinquante émissions de télévision sur le judaisme (France 2, Chaine Histoire). En 2011, elle a reçu le Prix d’excellence enéducation juive de la Fondation Samuel et Brenda Gewurz de la BJEC (Bronfman Jewish Education Center).