Une candidature de femme, qui plus est, orthodoxe, à la prochaine Présidence de l’État d’Israël ?

Adina Bar Shalom

Adina Bar Shalom

Adina Bar Shalom songe à être candidate pour être Présidente de l’État d’Israël : une première en tant que femme, une révolution dans le monde ultra-orthodoxe.

Qui est Adina Bar Shalom ?

Adina Bar Shalom est une femme singulière qui oeuvre pour l’éducation et la formation professionnelle des femmes d’abord, et des hommes ensuite, au sein du monde haredi, ultra-orthodoxe, ainsi que pour une meilleure intégration de cette communauté, en  évolution démographique, au sein de la société israélienne. Femme de rabbin, elle est la fille ainée du rabbin Ovadia Yossef (1920-2013), ancien Grand Rabbin Séfarade de l’État d’Israël, qui fonda le parti ultra-orthodoxe séfarade Shass et qui, jusqu’à son décès en octobre dernier, fut le leader incontesté du monde juif séfarade en matière de référence rabbinique contemporaine.

Grâce à l’appui de son père, Adina Bar Shalom réussit à créer, en 2001, le College Haredi de Jérusalem[ref]Voir http://www.mcy.org.il/[/ref], l’un des premiers si ce n’est le premier institut d’études supérieures pour les femmes du milieu haredi. Elles peuvent ainsi y étudier la psychologie, les sciences de l’éducation, sciences sociales, la communication et les sciences fondamentales. Déjà plus de 350 diplômées du College Haredi de Jérusalem sont sur le marché du travail et ont été suivies par 250 hommes environ qui ont également achevé un de ces cursus diplômant.

« Son succès, en la matière, fait d’elle l’une des chefs de file de la société israélienne » écrit à son sujet sur son site la Fondation de Jérusalem qui lui octroie des fonds ». Adina Bar Shalom s’attela, pour plusieurs raisons, à la création de cet Institut qui permet d’acquérir des connaissances formatrices et de niveau universitaire, tout en respectant les règles du monde orthodoxe notamment la non mixité ou d’autres codes sociaux. D’abord, elle était a ligée par l’indigence croissante du monde ultra-orthodoxe dont les autorités rabbiniques poussent généralement les hommes à se consacrer exclusivement à l’étude de la Torah au détriment d’une autre formation ou d’un travail, et pour laquelle ils ne reçoivent que quelques subsides de l’État ou de fonds privés. « Un grand pourcentage des rabbins ne sont pas conscients de la profondeur de la pauvreté dans la société », dit elle tristement, « et les gens ne peuvent plus nourrir leurs enfants »[ref]Oren Majar, “Israel’s hightech future : Haredi women”, Haaretz, 8.9.2010[/ref]. Elle était aussi marquée par le manque de formation des femmes sur qui reposent en grande partie les moyens de subsistance de ces familles. Enfin, elle put constater dans son parcours personnel, elle qui ne put apprendre ce qu’elle souhaitait mais suivit toutefois un peu tardivement, une école laïque de couture et de mode à Tel Aviv, le fossé, l’incompréhension voire la haine qui régnaient entre une partie de la société israélienne, lasse de supporter le joug de l’économie israélienne et le monde ultra-orthodoxe replié sur lui-même.[ref]« Le partage du fardeau » était l’une des revendications du Printemps des tentes en Israël en 2011 voir notamment la traduction proposée par Marc Fensohn d’un texte emblématique à ce sujet de la chanteuse Alma Zohar (notamment le point 6) : « Le Peuple d’Israël par la bouche d’Alma Zohar parle au Premier Ministre », Guysen International[/ref] Il est fort probable que si Adina Bar Shalom n’avait pas été soutenue par son père, elle aurait échoué dans sa tâche et sans doute aurait été mise au ban de la société ultra- orthodoxe comme le fut le rabbin Haim Amsellem ancien député du Shass qui rompit aussi le silence sur la situation dramatique de la communauté ultra-orthodoxe et de l’idéologie qui la sous-tend (refus de l’éducation séculaire, de formation, d’entrer sur le marché, de servir dans l’armée, poids des responsabilités économiques sur les femmes, etc.)[ref]Au sujet des idéaux du Rabbin Haim Amsellem voir Gabriel Abensour, « Haim Amsellem et si c’était vrai ? », Blog modern orthdox, 14.04.14. Voir aussi, Elias Levy, « Haim Amsellem, le rabbin rebelle ’Israël », CJN, 13.04.2011.[/ref]. Il dut même, pendant un temps, être accompagné de gardes du corps pour faire face aux menaces car ces prises de position étaient considérées par certains comme une trahison[ref]« Protection rapprochée pour le Rav Amsellem », Terre d’Israël citant A.7, 26.11.12[/ref].

Adina Bar Shalom posera-t-elle sa candidature pour être Présidente de l’État d’Israël ?

Les obstacles

Il y a peu, Adina Bar Shalom, 69 ans, femme de rabbin et mère de trois enfants, a exprimé son désir d’envisager de se présenter comme candidate à la Présidence de l’État d’Israël  puisque le mandat de Shimon Peres se termine en juillet 2014 et que les élections pour la nomination d’un nouveau Président par les députés de la Knesset (Assemblée législative) se tiendront en avril prochain. Pour l’heure, elle tâte le terrain et cherche des soutiens  auprès des députés du Shass et au-delà car il lui faut le soutien de dix députés pour  déposer sa candidature. Et si le Shass compte 11 députés, elle n’est pas certaine d’obtenir  leur approbation puisque leur attitude à son égard est ambivalente. D’un côté, il n’y a eu, jusqu’à présent, aucune femme député au Shass comme dans les autres partis ultra-orthodoxes d’Israël tel que « Yaadout HaThora », l’actuelle formation ashkénaze (7 députés)[ref]Pour la composition actuelle de la Knesset voir Sonia Sarah Lipsyc, « Trois surprises caractérisent au moins les résultats des élections législatives israéliennes », Judaïsmes et Questions de société, 29.01.2013[/ref]. En e et, dans ces milieux, les femmes ne se présentent pas comme candidate dans ces partis et ne représentent pas leurs communautés. « Selon notre vision, une femme ne peut être députée à la Knesset » a déclaré le député Shass, Nissim Dahan. Il reflète ainsi le point de vue quasi exclusif parmi les leaders du monde ultra-orthodoxe en déclarant : « une femme ne peut être exposée au regard de la sphère public »  désapprouvant le fait qu’elles tiennent des responsabilités publiques. Des femmes orthodoxes ont récemment (et c’est aussi une première) protesté contre cette vision discriminative aussi bien dans le monde ultra-orthodoxe séfarade qu’ashkénaze, en lançant aux dernières élections législatives de janvier 2013, le slogan : « pas éligibles, pas de vote »[ref]Sonia Sarah Lipsyc, « Pas éligibles, pas de vote », Judaïsmes et Q uestions de société, 14.01.2013[/ref]. De plus : « Elles avancent que si elles sont dignes de gérer des écoles, d’exercer d’autres métiers à responsabilité et de faire vivre leurs familles et leurs maris afin qu’ils se consacrent à l’étude de la Torah et du Talmud – elles peuvent aussi être éligibles. Elles menacent de ne pas voter ou de voter pour d’autres partis qui partagent leur vision »[ref]Ibidem[/ref]. D’un autre côté, le Shass a déjà fait savoir que « si Madame Bar Shalom va de l’avant, la question de sa candidature sera soumise à l’examen du Conseil des Sages du parti ». Même si la fonction présidentielle est symbolique, elle revêt une dimension honorifique et morale importante. Le Président représente l’État hébreu durant sept ans mais joue également un rôle dans le fait d’aider le Premier Ministre à trouver une coalition gouvernementale après les élections. Et on sait que la tâche est délicate dans un pays multi partis où les résultats se jouent à la proportionnelle. Le Shass ne peut qu’être sensible à cet aspect des choses d’autant plus qu’Adina Bar Shalom est la fille de leur feu et incontesté leader.

Le deuxième obstacle, que devra franchir Adina Bar Shalom, est bien évidemment la concurrence avec les autres candidats déclarés ou pressentis. « Elle attend d’ailleurs de voir qui sont les candidats avant de prendre sa décision » a-t-elle déclaré . Parmi eux, il y a Dan Shechtman, chercheur au Technion de Haïfa et Prix Nobel de chimie en 2011. « Une  pétition en ligne en sa faveur a obtenu plus de 10,000 signatures en quelques jours selon le journal Maariv ». Reuven Rivlin (député likoud), Silvan Shalom, l’actuel vice premier  ministre et Ministre du Développement du Néguev et de la Galilée, de l’Eau et de l’Énergie et de la Coopération régionale et Benjamin Ben Eliezer (député du Parti travailliste et ancien ministre à plusieurs reprises) ont fait part de leur désir de candidature. Il y a également le charismatique Nathan Sharansky ancien refuznik, ancien député et actuel Président de l’Agence Juive. Si ce sont les députés[ref]Ibidem[/ref] qui élisent le Président, un récent  sondage de l’Institut de la Démocratie en Israël, a montré toutefois que le public israélien  préfèrerait quelqu’un de la société civile notamment une personne issue du monde académique, des sciences humaines ou fondamentales. Adina Bar Shalom correspond partiellement à ces critères et n’est pas députée. Le troisième obstacle est à la fois un atout et un handicap. Si la candidature de Bar Shalom était confirmée, la présence de la famille Yossef serait très e ective à la tête de l’État d’Israël car son frère Isaac est déjà l’actuel Grand Rabbin Séfarade d’Israël. Il s’agit aussi d’un atout, l’ascendance familiale, très prisée dans les milieux ultra-orthodoxes, d’un membre issu de l’aristocratie séfarade, une fois n’est pas coutume, au sommet de l’État  d’Israël ! Mais pourrait être vu aussi comme une tendance népotique par d’autres députés.

Les atouts Il reste que la candidature d’Adina Bar Shalom est en soi véritablement une révolution et une évolution pour le leadership des femmes dans l’État d’Israël et le monde juif[ref]Rappelons toutefois l’élection en novembre 2013 de Mindy Pollack, femme hassidique de 24 ans, comme conseillère municipale à Outremont, l’un des quartiers de Montréal. Voir « Mindy Pollak, première juive hassidique à être élue au Québec », RadioCanada, 8.11.2013[/ref]. La première fois qu’une femme qui plus est ultra-orthodoxe se présente à ce niveau. « Je n’ai aucun doute que les femmes ultra-orthodoxes seront les leaders dans l’avenir (….) » a a irmé Adina Bar Shalom, en ajoutant « le leaderhsip féminin est nécessaire dans notre société »[ref]Ibidem[/ref]. D’un point de vue politique étrangère, Adina Bar Shalom est considérée comme une modérée « (…) en août 2012 elle a rejoint un groupe de rabbins qui a rencontré le Président de l’Autorité Palestinienne Mahmoud Abbas à Ramallah ». Elle adhère au principe défendu par son père, nonobstant certaines de ses déclarations très dures à l’encontre de certains dirigeants palestiniens. « Il est interdit de sanctifier la terre plus que la vie des humains ». Un autre atout primordial de Mme Adina Bar Shalom serait le pont qu’elle pourrait représenter entre la société laïque ou traditionnaliste et le monde ultra-orthodoxe. Et c’est là un point essentiel surtout au moment où se pose la délicate question de l’enrôlement dans l’armée, des Juifs ultra-orthodoxes, dispensés jusque-là de cette obligation nationale; enrôlement dont le
projet de loi suscite de violentes réactions de la part du monde haredi et de ses dirigeants[ref]Dépêche, « Arrêt du financement des étudiants de Yeshiva », I24news, 5.02.2014.[/ref].

D’une part, Adina Bar Shalom a montré au travers du succès de son Institut d’Etudes Supérieures que les Juifs ultra-orthodoxes, pouvaient entrer dans le monde de l’Education « sans compromettre leur mode de vie haredi »[ref]Ibidem[/ref] ou s’éloigner des pratiques religieuses. Cette crainte, est l’une des raisons du refus, dans ces milieux, d’une éducation séculaire. D’autre part, elle ne s’oppose pas à l’enrôlement des hommes, ce qui est sur le principe un pas immense dans ce monde[ref]Il faut cependant souligner que le monde ultraorthodoxe représente une exception dans le monde religieux car la majorité des Juifs pratiquants ou traditionnalistes eˆectuent leur service militaire en Israël. De plus, depuis presque 50 ans… le monde orthodoxe sioniste permet aux jeunes hommes de aire l’armée tout en étudiant dans des yeshivot (écoles talmudiques), c’est le système des « yeshivot esder » qui dure cinq ans au lieu de trois ans du service ilitaire[/ref]. Son propre fils a servi sous les drapeaux un temps ainsi que l’un de ses frères Avraham Yossef durant dix ans avant de devenir rabbin de Holon. Mais Adina Bar Shalom propose une solution négociée. Ainsi, elle ne souhaite pas que les jeunes hommes s’enrôlent à 18 ans mais une fois mariés, âgés d’environ 22 ans et après avoir consulté leurs rabbins.

Elle estime qu’« une culture de service national chez ceux qui sortent d’une yeshiva (école talmudique) haredite (ultra-orthodoxe) pourra être créée ». Là aussi, le souci est que l’armée ne détourne pas les jeunes hommes de leur mode de vie ultra-orthodoxe et qu’ils trouvent leur place dans l’armée à partir de leur propre identité.

Son élection pourrait donc être soutenue par les membres du Shass car nonobstant leur point de vue conservateur sur les rôles des femmes, Adina Bar Shalom vient de leur milieu et est la fille de leur vénéré maître le Grand Rabbin Ovadia Yossef. Mais elle pourrait aussi recueillir les voix de l’autre parti ultra-orthodoxe qui serait rassuré d’avoir l’une des leurs les représenter au plus haut niveau de l’État « et pourrait faciliter la présentation de leurs points de vue dans les conseils du gouvernement et travailler l’accord le plus favorable pour les haredim (ultra-orthodoxes»)[ref]Ibidem[/ref].

Quel que soit le dénouement de ce désir de candidature, le fait même qu’Adina Bar Shalom ait songé la poser, bouscule à la fois le monde ultra-orthodoxe et la représentation que les uns et les autres se font de celui-ci. Il est le signe de la nécessité d’un changement face à cet ultime défi de la société israélienne : le renouveau d’un consensus devenu caduque entre le monde ultra-orthodoxe et le reste de la population et la recherche d’un bien commun entre ces di érents mondes.


Si les citations ne sont pas référencées en bas de page, elles proviennent des articles suivants :

  • Dépêche, “Next goal of Shas leader’s daughter : Israeli presidency”, Haaretz, 22.01.2014.
  • Nathan Jeˆay, “Adina Bar Shalom, Rabbi Ovadia Yosef’s Daughter, Weighs Israel Presidential Run. UltraOrthodox
  • Bridge Between Religion and State”, Forward, 12.02.2014.
    Stuart Winer, “Daughter of late Shass rabbi Ovadia Yosef eyes presidency.
  • Adina Bar Shalom wants to be her father’s allmale political party’s candidate for Israel Head of State”, TimesofIsrael, 22.01.2014.

La version intégrale de cet article a été mise en ligne une première fois sur le site « Judaismes et questions de société » : http ://judaismes.canalblog.com/

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Dr Sonia Sarah Lipsyc

Sonia Sarah Lipsyc est directrice de ALEPH,le Centre d’Études Juives Contemporaines de la Communauté Sépharade Unifiée du Québec (CSUQ), depuis sa création en 2009. Docteur en Sociologie, Sonia Sarah Lipsyc est également auteure, chercheure, enseignante et dramaturge. Elle est chercheure associé à l'Institut d'Études Juives Canadienne de l'Université Concordia (Montréal). Elle a créée, en 2012, une unité de Recherches au sein de ALEPH sur «Judaïsmes et Questions de Société» ainsi qu'un site de ressources sur ces thématiques (http://judaismes.canalblog.com). Elle a notamment écrit "Salomon Mikhoëls ou le testament d'un acteur juif" (2002) et dirigé la publication de Femmes et judaïsme aujourd’hui, In Press (2008). «Eve des limbes revenue ou l'interview exclusive de la première femme (ou presque) de l'humanité» a été mise en ondes sur France Culture (2011) et mise en espace en anglais à l'Université de Brandeis (Boston) en 2012. Sa dernière mise en scène, «Sauver un être, sauver une monde» a été représentée devant des centaines d'élèves du secondaire à Montréal. Elle a participé à plus de cinquante émissions de télévision sur le judaisme (France 2, Chaine Histoire). En 2011, elle a reçu le Prix d’excellence enéducation juive de la Fondation Samuel et Brenda Gewurz de la BJEC (Bronfman Jewish Education Center).