L’œuvre du Ramhal, kabbaliste, de Montréal à Jérusalem

Rabbin Mordékhaï Chriqui

Rabbin Mordékhaï Chriqui

Mordékhaï Chriqui, est Rabbin et chercheur dans le domaine de la métaphysique et de la kabbale; il  est le fondateur de lʼInstitut Ramhal d’abord à Montréal et ensuite à Jérusalem. Il est conférencier dans plusieurs centres à travers le  monde sur la kabbale. Auteur de nombreux ouvrages dont Le Flambeau de la Cabale, Les voies de la Direction divine, lʼEssence de la Torah et Le Roi du monde ou Le règne de l’Unité. Il s’intéresse depuis de nombreuses années à la pensée kabbalistique et à ses implications philosophiques dans lʼhistoire. Il vient de terminer (2015) une thèse de doctorat (Ph.D.) sur « La perception de la kabbale de Luzzatto en tant que Métaphysique de lʼUnité ».

Vous êtes un spécialiste du Ramhal, un kabbaliste du 18e siècle que vous traduisez en français et dont vous diffusez la pensée au travers de divers ouvrages. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur cet auteur et sur les raisons de l’intérêt que vous lui portez?

Ramhal, acronyme de Rabbi Moshé Hayyim Luzzatto (1707-1746) est sans aucun doute l’un des maîtres les plus prolifiques et les plus innovateurs que le judaïsme ait connu depuis Maïmonide (1135-1204). Logicien et kabbaliste, poète et talmudiste, moraliste et grammairien, théologien et dramaturge – telles sont les facettes apparemment antinomiques de la personnalité exceptionnellement riche de ce maître, aujourd’hui incontesté du judaïsme.

La vie du Ramhal a connu beaucoup de bouleversements; son œuvre, quoi qu’elle ait subie les fluctuations et les vicissitudes du temps, reflète l’harmonie d’une production exceptionnelle (80-90 ouvrages). Au-delà des péripéties et des bouleversements de son histoire, on perçoit la profonde unité de sa personnalité et de son œuvre. Littérature et rhétorique, mystique et ésotérisme, éthique et théâtre, un seul but est recherché par ce génie : il s’agit de la révélation de l’Unique Existence, l’Unité de Dieu qui permet la réparation du monde.

À partir de quand vous êtes-vous intéressé au RaMHaL? Vous avez même créé à Montréal, je crois l’Institut d’études sur le RaMHAL?

Au printemps 1986, j’ai publié en Israël ma première biographie sur le Ramhal : Yessod Olam. En 1990, j’ai publié : Le Flambeau de la Cabbale : Vie et œuvre de R. Moché Hayim Luzzatto à Montréal (ÉD. Phidal). Parallèlement à mes fonctions de Rabbin à la synagogue Beth Rambam (Côte-Saint-Luc, Québec), j’ai suivi des études sur la science des religions à l’Université Concordia (Montréal) où j’ai rédigé une thèse de maîtrise sur Le Maguid et les écrits Zohariques du Ramhal, sous la direction du Pr. Ira Robinson.

À propos de l’Institut Ramhal : en 1988, j’ai créé avec un petit groupe de montréalais (Joëlle Weizman, Sam Benattar, Ralph Benattar, Sylvain Abitbol, et d’autres) l’Institut Ramhal. Le succès immédiat et l’enthousiasme de la communauté sépharade fut très grand, ce qui m’a permis de continuer et de développer l’Institut Ramhal à Jérusalem depuis 1991.

Quelles sont les activités de votre centre en Israël et dans le monde juif?

Un centre d’études comprenant un Kollel (lieu pour adultes se consacrant à l’étude juive ndr), un Beth Midrash (lieu d’études), et des cours pour tout public, avec un groupe très dynamique. Nous avons aussi mis en place une (ré)édition de l’œuvre du Ramhal en hébreu ainsi que de nouvelles traductions en français des textes fondamentaux du Ramhal. Pour ne citer que les derniers: Kalah Pithé Hokhmah – Les 138 Portes de la Sagesse, et Le Discours de la Délivrance.

Vos projets?

Il en existe plusieurs b’h (bezeraat hachem, avec l’aide de Dieu, ndr). Entre autre la publication prochaine en mars 2016 de ma thèse de Doctorat : La Métaphysique de l’Unité chez le Ramhal, aux éditions Auteurs du Monde et l’édition prochaine du livret – qui est mon cheval de bataille – Tikoun Olam (la Réparation du Monde).

Vous avez aussi un projet de monter à Montréal une pièce du Ramhal que vous avez déjà fait jouer à Paris dans une mise en scène de Daniel Mesguish? Pourrions-nous en savoir davantage?

Il ne faut pas oublier le côté littéraire, dramaturge, artistique du Ramhal. Nous avons eu de la chance d’avoir rencontré à Paris un producteur exceptionnel – Fabrice Tebboul – qui a mis en œuvre la dernière pièce du Ramhal (1743) : Layesharim Tehila – Gloire aux Justes, avec Daniel Mesguish. Là aussi, nous avons démontré qu’il existe un théâtre – au-delà du divertissement – symbolique et sacré.

Comment définiriez-vous la dimension sépharade du Ramhal?

Bien que l’origine des Luzzatto soit germanique, voire française selon certains chercheurs, la famille Luzzatto installée à Padoue (Italie) depuis le 16e siècle s’est enracinée avec les Juifs italiens locaux. À Padoue où il y avait 3 synagogues (sépharade, italienne et ashkénaze), le Ramhal ne priait et n’étudiait qu’avec un cénacle d’amis sépharades (R. Moshé David Wallé, David Franco, Israël Trévis, etc.) – à l’exception d’un disciple polonais : Yékutiel Gordon, qui était venu étudier la médecine à Padoue. Pour les fêtes de Rosh Hashana et de Kippour, le Ramhal retrouvait la communauté ashkénaze pour les prières solennelles. De toutes les façons, la kabbale ainsi que les maîtres à penser du Ramhal (R. Moïse Cordovéro, R. Benjamin ha-Cohen Rabbi Isaïe Bassan, etc.) étaient sépharades. En revanche la majorité des rabbins ashkénazes d’Italie et d’Allemagne de l’époque s’opposèrent à son enseignement. Lors des attaques contre lui en 1735, il trouva refuge dans la communauté spanish-portuguese d’Amsterdam, où il devint le maître de cette institution jusqu’à son départ en Israël en 1743.

Quel est son héritage dans la pensée d’aujourd’hui?

Le Ramhal qui influença, depuis la fin du 18e siècle, le judaïsme lituanien des yeshivot (écoles académiques), avec son livre d’éthique : Messilat
yesharim (La voie des justes). Il imprégna aussi le mouvement du hassidisme ainsi que l’école de la Haskala (Ère des lumières) de Mendelssohn. L’actualité du Ramhal se ressent dans toutes les universités israéliennes. Il est perçu comme un penseur original de la kabbale qui a posé les fondements d’une historiosophie et d’une science de l’Unité.

Sonia Sarah Lipsyc

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Dr Sonia Sarah Lipsyc

Sonia Sarah Lipsyc est directrice de ALEPH,le Centre d’Études Juives Contemporaines de la Communauté Sépharade Unifiée du Québec (CSUQ), depuis sa création en 2009. Docteur en Sociologie, Sonia Sarah Lipsyc est également auteure, chercheure, enseignante et dramaturge. Elle est chercheure associé à l'Institut d'Études Juives Canadienne de l'Université Concordia (Montréal). Elle a créée, en 2012, une unité de Recherches au sein de ALEPH sur «Judaïsmes et Questions de Société» ainsi qu'un site de ressources sur ces thématiques (http://judaismes.canalblog.com). Elle a notamment écrit "Salomon Mikhoëls ou le testament d'un acteur juif" (2002) et dirigé la publication de Femmes et judaïsme aujourd’hui, In Press (2008). «Eve des limbes revenue ou l'interview exclusive de la première femme (ou presque) de l'humanité» a été mise en ondes sur France Culture (2011) et mise en espace en anglais à l'Université de Brandeis (Boston) en 2012. Sa dernière mise en scène, «Sauver un être, sauver une monde» a été représentée devant des centaines d'élèves du secondaire à Montréal. Elle a participé à plus de cinquante émissions de télévision sur le judaisme (France 2, Chaine Histoire). En 2011, elle a reçu le Prix d’excellence enéducation juive de la Fondation Samuel et Brenda Gewurz de la BJEC (Bronfman Jewish Education Center).