Les femmes aussi peuvent être directrices administratives des tribunaux rabbiniques en Israël

Voici le premier article du 12.01.2016 de Sonia Sarah Lipsyc pour son nouveau blog sur TimesofIsraël.

 

De l’usage de la loi civile pour lutter contre les discriminations religieuses à l’encontre des femmes juives

De plus en plus, en Israël mais pas seulement, les femmes, lasses de subir des discriminations au nom de la tradition juive, se tournent vers les tribunaux civils et la loi civile pour faire valoir leurs droits. Cette démarche est d’autant plus efficace lorsqu’elles assignent des institutions étatiques qui plus est, dépendantes des deniers publics.

Celle qui a ouvert la voie dans ce sens fut Leah Shakdiel, une femme orthodoxe qui fut admise à siéger au sein du conseil municipal religieux de la cité de Yeruham (Neguev).

Les fonctions de ce conseil consistent à s’occuper notamment de tout ce qui a trait à l’éducation juive, les bains rituels ou la cacherout dans une ville. Mais son admission acceptée dans cette cité à majorité sépharade fut contestée et refusée par le rabbinat israélien.

Elle se tourna alors, soutenue par la municipalité de Yeruham et représentée par l’Association des Droits Civiques en Israël, vers la Cour Suprême. En 1988, celle-ci, statua qu’il n’y avait aucun obstacle, à ce que Leah Shakdiel ou toute autre femme siège dans un conseil municipal religieux [1].

En 2007, cinq femmes de sensibilité juive religieuse différente (orthodoxe et autres) déposèrent avec l’appui de l’IRAC (Israel Religious Action Center) et de son avocate Orly Erez-Likhovski, un recours auprès de la Cour Suprême d’Israël contre les bus publics dans lesquels la séparation des sexes était imposée.

La compagnie Egged avait accepté et instauré la séparation entre hommes (à l’avant) et femmes (à l’arrière) sur certaines lignes publiques. Non seulement, les femmes (et les hommes) subissaient cette discrimination mais de surcroit celles qui ne s’y soumettaient pas étaient victimes parfois de violences verbales ou physiques.

En 2011, la Cour Suprême rendit un arrêt ambigu déclarant que « cette pratique était contraire à la loi mais qu’elle pourrait être maintenue si elle était acceptée de leur plein gré par les passagers ». Cette décision était assortie notamment de demande d’insertion de panneaux explicites dans les bus sur lesquels il devait être spécifié que « le harcèlement d’un(e) passager(e) au sujet de la séparation des sexes constituerait une infraction pénale ». Il était également demandé que « le Ministère des Transports donne des instructions nécessaires aux chauffeurs afin d’être sûr que ces consignes soient respectées ».

Enfin, des centres de plaintes pour les femmes qui estimeraient avoir été lésées devaient être mis en place. Ainsi les femmes furent mieux à même de pouvoir être défendues et se défendre dans le cas de discrimination sexuelle dans les bus en Israël [2].

Et voici un dernier exemple tout à fait instructif.

Pouvoir se porter candidate au poste administratif de directeur des tribunaux rabbiniques

En août 2014, le directeur des tribunaux rabbiniques, un fonctionnaire travaillant pour des institutions sous l’égide de l’Etat d’Israël, prit sa retraite.

Batya Kahana-Dror avocate et directrice de l’organisation israélienne Mavoi Satum déposa sa candidature pour ce poste. Mavoi Satum (littéralement « Impasse ») est une association qui, sur plusieurs plans, (juridique, social, psychologique), aide les femmes à obtenir leur divorce religieux (guet).

En effet, le directeur du réseau des tribunaux rabbiniques est un poste stratégique car « il exerce une influence notable au sein du système, est responsable de la mise en œuvre des règlements propres aux tribunaux rabbiniques et est garant du bon fonctionnement des procédures juridiques des tribunaux » [3].

Or, en Israël, tout ce qui est de l’ordre du statut personnel, de la naissance à la mort en passant par le mariage et le divorce, est du ressort de la compétence des tribunaux rabbiniques orthodoxes. Et l’on sait les difficultés auxquelles se heurtent parfois les femmes pour obtenir leur divorce religieux. Il est donc important, si on veut faire avancer les droits des femmes, de faire partie de ce réseau des tribunaux rabbiniques « qui ont une grande influence dans la vie religieuse juive en Israël et à l’étranger ».

Mais sa candidature a été rejetée car « elle ne remplissait pas les critères pour l’emploi qu’exigeait cette institution (à savoir) : servir comme juge à la cour rabbinique ou être rabbin municipal ».

Evidemment, Batya Kahana-Dror ne pouvait répondre à ces critères puisque cette même institution n’autorise pas les femmes à être juge à la cour rabbinique ou rabbin (municipal ou autre) !

Le rabbinat avait usé de cette même stratégie, il y a des années, en arguant qu’une femme ne pouvait être « avouée rabbinique » (toénet rabbanit) auprès des tribunaux rabbiniques que si elle était passée par une yeshiva (académie talmudique) alors même qu’aucune yeshiva ne leur était ouverte !

A la suite de plusieurs batailles juridiques, durant des années, les femmes obtinrent gain de cause, contre le rabbinat, auprès de la Cour Suprême en 1994. Et le rabbinat dut accepter la formation de haut niveau que les femmes suivirent dans une institution qui leur ouvrit les portes. Il ne s’agissait pas d’une yeshiva mais d’un institut d’études juives supérieures, la Midreshet Lindenbaum. Leur cursus fut reconnu et elles purent obtenir une licence afin d’exercer leur métier et d’aider les femmes auprès des tribunaux rabbiniques [4].

Suite à cette nouvelle décision discriminative, des associations de femmes, Na’amat, de tendance juive traditionaliste, la WIzo et Mavoi Satum ont décidé, elles aussi de se tourner vers la Cour Suprême d’Israël ou la Haute Cour de Justice.

La Haute Cour de justice a finalement décidé :

  • « Qu’il n’y avait aucune raison qu’une femme ne puisse servir en tant que directrice du réseau des tribunaux rabbiniques.
  • Que les critères de qualification avancés n’étaient pas idoines »

La Haute Cour de justice a ainsi « donné 30 jours à l’Etat pour définir de nouveaux critères pour ce poste ».

De plus, la Cour Suprême a statué, « qu’une fois les critères établis, elle assignera l’Etat à nommer son/sa directeur/trice dans un délai donné ».

C’est un pas important, car comme le relève Batya Kehana-Dror, « bien qu’il soit peu probable que ce réseau choisira une femme comme directeur du réseau des tribunaux rabbiniques, il sera désormais impossible de rejeter automatiquement des candidatures de femmes car les critères précédents qui les excluaient ont été invalidés ».

D’ailleurs la Cour Suprême a également recommandé que ce réseau des tribunaux rabbiniques « commence à intégrer d’autres femmes dans d’autres postes de direction afin de s’habituer à ce nouvel état de fait ».

Les associations de femmes se sont félicitées de cette décision de la Cour Suprême en soulignant que « c’est une étape importante dans l’intégration des femmes au sein du système des tribunaux rabbiniques (…) Kehana-Dror a décrit cette décision comme révolutionnaire : « (…) après de nombreuses années de discrimination empêchant les femmes d’occuper des rôles administratifs au sein des tribunaux rabbiniques responsables du sort des femmes qui se tournent vers eux, la Haute Cour de justice a jugé que les femmes sont de valeur égale. La décision est un message adressé aux femmes qu’elles peuvent et doivent lutter pour leurs droits et ne pas capituler devant les discriminations ».

Nous le croyons.

Sonia Sarah Lipsyc

La première version de cet article est parue sur le groupe Facebook Judaïsme et Féminisme sous #delusagedelaloicivilepourluttercontrelesdiscriminationsreligieusescontrelesfemmesjuives

Ce groupe Judaïsme et Féminisme, de plus de 1300 membres, interroge l’évolution du statut des femmes au sein du judaïsme notamment orthodoxe et francophone.

[1] Voir Leah Shakdiel, « Mon combat pour être la première femme éligible au sein d’un conseil municipal religieux » dans Quand les femmes lisent la Bible, sous la direction de Janine Elkouby et Sonia Sarah Lipsyc, Pardes, Ed. In Press, Paris, 2007.

[2] Toutes les citations de ce passage sont tirées de Sonia Sarah Lipsyc, « Existe-t-il une ségrégation sexuelle dans les autobus en Israël ? (I) », dans Judaïsmes et Questions de société 21.03.2011.

[3] Toutes les citations de ce passage sont extraites de Jeremy Saron, «Mavoi Satum director : HCJ finally ruled that women are of equal value» Jerusalem Post, 08..01.16.

[4] Voir Liliane Vana, « L’Absence des femmes des fonctions religieuses : un réexamen de la loi juive (halakhhah) dans Femmes et Judaïsmes aujourd’hui, sous la direction de Sonia Sarah Lipsyc, édition In Press, Paris, 2008 pp. 114-115.

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Dr Sonia Sarah Lipsyc

Sonia Sarah Lipsyc est directrice de ALEPH,le Centre d’Études Juives Contemporaines de la Communauté Sépharade Unifiée du Québec (CSUQ), depuis sa création en 2009. Docteur en Sociologie, Sonia Sarah Lipsyc est également auteure, chercheure, enseignante et dramaturge. Elle est chercheure associé à l'Institut d'Études Juives Canadienne de l'Université Concordia (Montréal). Elle a créée, en 2012, une unité de Recherches au sein de ALEPH sur «Judaïsmes et Questions de Société» ainsi qu'un site de ressources sur ces thématiques (http://judaismes.canalblog.com). Elle a notamment écrit "Salomon Mikhoëls ou le testament d'un acteur juif" (2002) et dirigé la publication de Femmes et judaïsme aujourd’hui, In Press (2008). «Eve des limbes revenue ou l'interview exclusive de la première femme (ou presque) de l'humanité» a été mise en ondes sur France Culture (2011) et mise en espace en anglais à l'Université de Brandeis (Boston) en 2012. Sa dernière mise en scène, «Sauver un être, sauver une monde» a été représentée devant des centaines d'élèves du secondaire à Montréal. Elle a participé à plus de cinquante émissions de télévision sur le judaisme (France 2, Chaine Histoire). En 2011, elle a reçu le Prix d’excellence enéducation juive de la Fondation Samuel et Brenda Gewurz de la BJEC (Bronfman Jewish Education Center).