Le jewishlab

ENTRETIEN AVEC Avi Finegold, rabbin et éducateur juif montréalais PAR SONIA SARAH LIPSYC

Avi Finegold

Rabbin Avi Finegold

Vous êtes né et vous avez grandi à Montréal d’un père ashkénaze et d’une mère sépharade?

Oui, je suis de la première vague des enfants nés de parents aux héritages multiples pour lesquels Montréal est bien connue. En mon temps, c’était moins commun, mais je suis fier de faire partie de cette nouvelle tradition. Grandir à Montréal, être le fils d’un bibliothécaire de la Bibliothèque Publique Juive et d’une professeure sépharade, Coty Dahan, ayant enseigné dans de nombreuses écoles de la communauté juive, sont toutes des composantes de ce que je suis aujourd’hui.

Comment est née votre vocation rabbinique et quelle a été votre formation?

Je suis venu au rabbinat presque accidentellement. Après l’université, un groupe d’amis avait approché le Rabbi Joshua Shmidman[ref]Ancien rabbin de la Congregation Tifereth Beth David Jerusalem (TBDJ) à Cote-St. Luc où il officia de 1975 à 1995 et fondateur de la Kehilat Noam. Il fut étudiant du célèbre rabbin Joseph Soloveitchik, et a été un force majeure dans la communauté Montrealaise pendant 40 ans.[/ref], et lui avait demandé s’il pouvait nous donner des cours particuliers une à deux fois par semaine. Très rapidement, la conversation s’est orientée plutôt sur l’enseignement en vue de l’ordination et j’ai volontiers suivi cette voie. Après plusieurs années, nous, membres de ce groupe auquel nous nous référons comme la Yeshivat Noam Hatorah nommée d’après la Congrégation Kehillat Noam, avons obtenu notre diplôme et nous sommes tous les fiers porteurs du savoir et de l’expérience de Rabbi Shmidman. Mon intention n’a jamais été d’avoir une chaire, mais de plutôt devenir un éducateur. Vers la fin de mes études, j’ai commencé à enseigner à l’école secondaire Herzliah à Ville-Saint-Laurent et même si je n’avais pas une formation formelle d’éducateur, j’ai réalisé que c’était ce que je voulais faire.

Quel a été votre parcours jusqu’à ce que, avec votre épouse la MaHaRaT[ref]Acronyme qui se traduirait en français par « Guide en loi, spiritualité et Torah », Mme Khol Finegold officie à la Congrétation montréalaise de Shaaré Shamayim.[/ref] Rachel Khol Finegold, vous rejoigniez à nouveau Montréal?

J’ai quitté Montréal peu de temps après l’ordination et j’ai déménagé à Boston pour poursuivre ma formation en tant que professeur à la Maimonides School. J’ai ensuite déménagé à Chicago pour entrer à la Divinity School, école supérieure de l’Université de Chicago. Je supposais que si j’allais enseigner en Études juives dans un avenir prévisible, j’avais besoin d’en apprendre suffisamment pour être cultivé dans de nombreux domaines différents du judaïsme. Par ailleurs, j’enseignais encore au niveau secondaire à Chicago, mais à un moment donné j’ai commencé à percevoir le besoin d’un enseignement de qualité pour les adultes dans la communauté juive et je suis passé à l’enseignement exclusif aux adultes. Le nord-est et la proximité de notre famille nous ont toujours manqué à mon épouse (une New-Yorkaise) et moi, si bien que lorsqu’un poste s’est ouvert à la Congrégation Shaar Hashomayim à Westmount, nous avons saisi l’occasion, ravis de pouvoir revenir à Montréal. Pour ma part, j’étais heureux de profiter de cette possibilité pour lancer ma propre structure, le Jewish Learning Lab.

Qu’est-ce que The Jewish Learning Lab que vous avez créé en 2013 et qui offre aussi des cours en français?

Le Jewish Learning Lab est un organisme à but non lucratif que j’ai ouvert lorsque je suis revenu à Montréal en vue de fournir une source indépendante de formation aux adultes de la communauté juive. J’ai réalisé que ce genre d’enseignement qui est florissant dans de nombreuses communautés en Amérique du Nord manquait dans la nôtre et qu’il enrichirait la communauté en offrant un endroit où l’apprentissage ne serait pas ancré dans une dénomination précise et sans autre objectif que celui de la stimulation intellectuelle. J’ai l’espoir que chacun devienne un meilleur Juif en apprenant davantage, peu importe comment chacun se définit personnellement en tant que Juif. Que vous soyez Juif réformiste, Juif de culture, ultra-orthodoxe (Haredi), vous deviendrez un meilleur Juif, sans changer votre propre définition, en approfondissant vos connaissances sur le judaïsme. Pour le moment, nous enseignons

uniquement en anglais, en partie parce qu’il existe déjà un excellent programme dispensé par Aleph[ref]Aleph, Centre d’Etudes Juives Contemporaines de la Communauté Sépharade Unifiée du Québec (CSUQ) (ndr)[/ref] qui remplit ce besoin, et en partie parce que j’avais besoin de me concentrer sur un plus petit groupe afin de mettre sur pied le Jewish Learning Lab et de le rendre opérationnel. Nous espérons évoluer avec le temps en offrant des cours en français ainsi que des cours spécialement destinés à la communauté sépharade. Nous avons remporté un franc succès, plus tôt cette année, avec un cours, en anglais, sur l’histoire du judaïsme sépharade à l’intention d’un public ashkénaze et j’espère en avoir encore en proposant un cours sur l’histoire des Ashkénazes aux Juifs sépharades qui connaissent peu de choses au sujet des Ashkénazes à part la couleur très brune de leur alimentation.

Vous enseignez dans des groupes très divers : la Havoura de Mile-End, un groupe qui réunit des Juifs d’horizon très divers, et la communauté juive de la Rive-Sud. Donc aussi bien dans des Congrégations que des groupes d’éducation juive informelle. Qu’attendent ces divers interlocuteurs ?

Une partie du travail du Jewish Learning Lab est aussi d’agir à titre de ressource pour les communautés et les congrégations de Montréal pour élaborer des occasions d’enseignement au moyen de notre équipe d’enseignants et pour répondre aux besoins particuliers d’une communauté ou d’un organisme donné. Les communautés avec lesquelles nous travaillons reconnaissent la valeur de la formation aux adultes dans le cadre de la vie juive et nous travaillons fort pour créer des programmes et de la formation qui répondront à leurs aspirations. Elles reconnaissent que lorsqu’elles travaillent avec le Jewish Learning Lab, il n’y a pas d’autre objectif que celui pour lequel le projet en question a été mis en place. En d’autres mots, je ne souhaite pas leur donner ma propre définition du judaïsme ni leur enseigner ce que je crois qu’ils devraient savoir. Lorsqu’un enseignant du Jewish Learning Lab devient érudit en résidence pour un groupe ou une communauté, il prend en compte d’abord et avant tout l’idéologie et les besoins particuliers de cette communauté.

Comment se caractérise votre enseignement?

Mon enseignement repose sur la croyance que le savoir donne la possibilité de prendre des décisions éclairées. Être un consommateur informé est de toute évidence une valeur appréciée par la société contemporaine. Il y a des sites et des experts qui peuvent vous aider à choisir n’importe quoi, de la meilleure voiture au meilleur aspirateur, en passant même par la meilleure façon de prendre une décision médicale éclairée. Cependant quand il s’agit du judaïsme, qui est au cœur de la vie de nombreuses personnes, elles choisissent d’arrêter leur scolarité au secondaire. J’aime faire référence à ça comme du Judaïsme pédiatrique, et il ne fait pas des Juifs matures et réfléchis. Je pense que si vous donnez aux gens le savoir et que vous le leur donnez d’une manière non filtrée, c’est-à-dire avec le moins de biais possible, ils peuvent décider eux-mêmes à quoi peut ressembler une vie juive constructive. La manière parle d’elle-même, car je n’enseigne pas la Torah comme si je disais que c’est le Judaïsme. Au contraire, j’enseigne la Torah et dis que c’est un judaïsme et qu’il y a bien d’autres formes de judaïsme qui interprètent ce texte de multiples façons. Je présente un échantillon équilibré d’interprétations aussi bien que des compétences pour que chacun trouve sa propre voie.

Comment définiriez-vous le judaïsme moderne orthodoxe dans lequel vous vous reconnaissez?

Mon orthodoxie s’appuie sur le sentiment que je fais ce que je pense être bien, mais qui n’exclut pas la possibilité que les autres fassent ce qui est bien pour eux aussi. Selon les mots d’un Rabbin américain, Brad Hirschfield, Président du CLAL- The National Jewish Center for Learning and Leadership, « vous n’avez pas à avoir tort pour que moi j’aie raison » ! Je suis orthodoxe en ce sens que ma pratique est incontestablement traditionnelle et que mes croyances se conforment largement au même ensemble de croyances qui peuvent être jugées traditionnelles orthodoxes. Pourtant elle est moderne en ce sens que je reconnais qu’historiquement tout le judaïsme a été un processus évolutif et qu’il a toujours été adapté aux besoins et aux sensibilités du moment. En tant que tel, je choisis d’être ouvert à ce sujet en utilisant la Halacha (loi juive) comme son guide et non pas pour prétendre que la pratique du judaïsme aujourd’hui est identique à ce qu’elle a toujours été.

Est-ce une sensibilité du judaïsme qui attire le monde sépharade? Si tel n’est pas le cas, pourquoi selon vous?

Absolument c’en est une. S’il y a une caractéristique déterminante, c’est que la plus part des communautés sépharades ont largement ignorée la période des Lumières du judaïsme, connue sous le nom de la Haskala, qui s’est répandue parmi les Juifs européens au 18e et 19e siècles. Par conséquent, le sépharadisme, de manière générale, ne s’est pas défini, et jusqu’à nous jours, par rapport à la Réforme[ref]Ou judaïsme réformé est apparu au 18ème siècle en Allemagne.[/ref], ou en tant qu’une réponse à celle-ci. La tradition est la pratique acceptée, et on s’en écarte très peu. Il est admirable, d’un côté, de voir comment toute une branche du judaïsme, ayant évolué plus naturellement, sans le « cataclysme » de la Haskala, et sans les changements propres au monde ashkénaze, réunit bien plus de gens attachés au judaïsme en raison de ce lien à la tradition caractéristique de la communauté sépharade. Et de constater, d’un autre côté, que lorsque certains aspects de la modernité sont justifiés, il faut généralement plus de temps à la communauté sépharade pour les intégrer. Pour exemple, le rôle des femmes dans la vie spirituelle, que ce soit en tant qu’étudiantes de niveau avancé ou érudites du même niveau que les hommes ou en tant que cadres spirituels ou laïques dans des organismes religieux (non culturels), se modifie dans le monde ashkénaze alors que les Sépharades accusent un retard significatif à ce sujet.

Sonia Sarah Lipsyc