L’auteur Joseph Elfassi et l’homme de théâtre Ariel Ifergan

Ariel Ifergan

Joseph Elfassi

Dr Sonia Sarah Lipsyc

Sonia Sarah Lipsyc

Pour la première de cette nouvelle rubrique, nous avons le plaisir de présenter deux artistes de notre communauté, Joseph Elfassi et Ariel Ifergan qui vient, bien sur, au Québec

Dr Sonia Sarah Lipsyc est rédactrice en chef du LVS et directrice de Aleph-Centre d’études juives contemporaines

 

Joseph Elfassi, Le prix de la chose

Joseph Elfassi, Le prix de la chose

Joseph Elfassi, est né aux États-Unis d’un père d’origine franco-marocaine et d’une mère française. Il a vécu à Paris, Montréal, Rouyn-Noranda (en Abitibi au Québec) et Toronto. Ses études en journalisme à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) l’ont mené à travailler pour les médias Vice, Voir, pour l’ONF (Office National du Film du Canada) et la chaîne de télévision TFO. Il a déjà collaboré à notre magazine La Voix Sépharade de 2008 à 2012 et avait d’ailleurs gagné le prix Lys de la relève au premier Gala de la Diversité en 2013. À trente ans, Joseph est déjà un journaliste confirmé. Grand lecteur aussi bien en français qu’en anglais, sa propre plume est drôle et créative. Il vient de publier son premier roman « Le Prix de la chose » chez Stanké, à Montréal qui sera suivi,  à n’en pas douter, par d’autres écrits. « Une fable jouissive où l’on interroge habilement les liens entre sexe et argent » annonce la quatrième de couverture. Le texte peut paraître sulfureux, mais il est écrit avec humour et élégance. Et il faut, je crois, le prendre pour ce qu’il est : une déclinaison érotique et amusante qui interroge les rapports de genres (l’amour, la séduction, le pouvoir, etc.). On attend avec impatience de lire d’autres de ses récits ou fictions.

Homme de théâtre, Ariel Ifergan, est le fils de Meir Ifergan qui, durant les vingt dernières années de sa vie, prépara des garçons et des jeunes filles à leur bar ou bat mitsva (cérémonie marquant la majorité religieuse) au sein de la Congrégation Dorshei Emet où il fut également hazan (chantre) et de Jacqueline, professeur de musique. Il commence dès 1999 sa carrière en tant qu’interprète et ne cesse depuis d’être sur scène puisqu’il a déjà joué dans près d’une vingtaine de productions. À la télévision, on a pu le voir notamment dans le feuilleton Trauma, ou Virginie dans lequel il interprétait le personnage de Mohamed. Au grand écran, il a joué dans deux courts métrages : Sur la ligne de Frédéric Desager et Next Floor de Denis Villeneuve qui remporta la palme du meilleur court métrage à Cannes en 2008. En 2002, il écrit et met en scène T’as aucune chance qui sera présenté pendant six ans dans les écoles secondaires du Québec et récompensé par le Masque des enfants terribles. En 2006, il fonde, avec Alexandre Frenette, la compagnie de théâtre Pas de Panique. En 2013, Pas de Panique amorce une association avec le Centre Segal qui s’est concrétisée maintenant par une résidence de création de 3 ans dans ce théâtre. Ariel Ifergan y a déjà signé deux mises en scène, L’Augmentation de Georges Perec et Le Visiteur, d’Éric Emmanuel-Schmidt en 2016.

Ariel Ifergan, dans Z comme Zadig

Ariel Ifergan, dans Z comme Zadig

L’année 2017 s’annonce riche puisque Ariel fera partie de la distribution de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? mis en scène par Denise Filiatrault au Théâtre du Rideau Vert et sera en tournée partout au Québec. Il reprendra également Z comme Zadig, une adaptation du conte philosophique de Voltaire co-écrite avec la metteure en scène Anne Millaire dans laquelle il incarne une quinzaine de personnages. « Nous voilà happés, charmés, amusés, fascinés, étonnés, gagnés ! On s’abandonne au plaisir et à la réflexion, puis on ressort (…) le cœur léger, le pas allègre, l’esprit en éveil », écrit au sujet de ce spectacle, le critique Raymond Bertin dans Cahier théâtre JEU. Toutes ces activités créatives n’empêchent pas Ariel Ifergan d’être impliqué dans la communauté juive. Il s’est ainsi occupé, il y a des années, d’une troupe de théâtre amateur au Centre Hillel à Montréal et a été plus récemment membre du comité d’administration du Congrès juif Canadien région du Québec. Il garde un souvenir marquant de ce passage dans cette institution dans laquelle il a rencontré des gens très divers, religieux, laïques, francophones, anglophones engagés dans des actions caritatives, culturelles ou politiques pour la communauté juive.

Ariel Ifergan est le conjoint de l’actrice Karyne Lemieux et père de deux enfants, la jeune Elia 8 ans et Isak, 4 ans.

Joseph Elfassi et Ariel Ifergan ont accepté de répondre à notre mini questionnaire à la Proust à la sauce juive et… sépharade [ref]Ce questionnaire rendu célèbre par Proust fut remis au goût du jour  par le journaliste français Bernard Pivot pour son émission littéraire « Bouillon de culture » et par  James Lipton, l’animateur de l’émission télévisée « Inside the Actors Studio ».[/ref].
Nous les remercions de ce « baptême » pour cette rubrique que nous retrouverons régulièrement.

Parmi tous les textes de la littérature juive,  de la Bible en passant par le Talmud jusqu’aux auteurs contemporains (Albert Cohen, Philippe Roth, Bob Dylan, par exemple), quel est le texte ou l’auteur qui vous inspire et pour quelle raison ?
J.E. – Définitivement Philip Roth. Dans ses premières œuvres, je reconnais mes angoisses et mon héritage culturel, et dans sa série sur son personnage Nathan Zuckerman (American Pastoral, Human Stain), il établit avec brio une histoire lucide et inusitée de l’Amérique. Un géant auquel je reviens toujours.
A.I. – Marek Halter m’a diverti et fait rêver. Primo Levi m’a bouleversé. Mais j’ai une immense admiration pour Albert Cohen. Il a une plume tellement théâtrale de par sa démesure, son opulence et ses personnages. Il consacre son immense talent littéraire, son érudition et son intelligence à nous peindre une critique de la petitesse des hommes face à l’immensité des sentiments qui les submergent, en particulier la peur et l’amour.

La personnalité du monde juif, tous siècles confondus, qui vous a le plus marqué ?
J.E. – C’est un mix : Leonard Cohen, Woody Allen et Jerry Seinfeld.
A.I. – J’aime Jacob pour l’épopée de sa vie comme symbole positif pour toutes les diasporas du monde. J’aime Albert Einstein pour sa capacité à faire cohabiter les sciences, la mystique et l’imaginaire.

Avec la mise en scène de la pièce Le Visiteur de Éric-Emmanuel Schmitt, j’ai eu l’occasion d’en apprendre un peu plus sur Sigmund et Anna Freud au sujet desquels j’entretenais, sans m’en rendre compte, certains préjugés. La vie de Freud, son œuvre et son rôle de pionnier me sont apparus tout à fait admirables.

Y a-t-il une citation de la culture juive qui vous viendrait à l’esprit ?
J.E. – « Vivre bien. C’est la plus grande vengeance. » Ça vient du Talmud, et ça me semble assez sage.
A.I. – Euh… Les brillantes citations sont très nombreuses, mais difficiles à retenir, à vérifier et à contextualiser. Tel un verre d’eau qui fait tant de bien lorsqu’on a soif, les citations me font du bien sur le coup, mais je trouve difficile de les transporter avec moi et de les resservir par la suite.

Quelle est la fête juive qui vous touche particulièrement ?
J.E. – J’ignore si on peut la qualifier de fête en soi, car il s’agit d’une célébration hebdomadaire, mais le shabbat reste un moment de communion festive et de festin commun. C’est pour moi la rencontre familiale, et la célébration de ce qu’on a de plus glorieux :  le quotidien.
A.I. – Kippour pour l’automne, la solitude, l’introspection, les résolutions… une petite mort et un renouveau.

Pessah pour le printemps, la collectivité, la famille, les questions. La traversée du désert ressemble à la traversée de l’hiver avec ses beautés et ses défis, et Pessah arrive comme une promesse.

Le trait de la culture sépharade que vous mettriez en avant ?
J.E. – Juste un ?
A.I. – Ce qui me plaît et me fascine de notre communauté, c’est certainement sa complexité et sa diversité. Diversités au pluriel, car elles sont linguistiques, religieuses, culturelles… Cette complexité est partie intégrante de l’identité juive et de l’identité sépharade : française, hispanique, arabe, moyen-orientale… Malgré certains épisodes difficiles, la cohabitation harmonieuse des communautés juives dans les pays musulmans représente un fait historique d’une grande valeur, car porteur d’espoir.

Dans toute culture moyen-orientale ou nord-africaine, la part de l’oralité est très importante. C’est touchant, c’est magnifique mais c’est aussi très fragile. Je crains que de grands pans de mémoire de la vie juive en terre musulmane soient menacés de disparition, par l’islamisme radical, mais également, par un penchant global à vouloir tout simplifier.

Après les nourritures spirituelles, les nourritures terrestres…Quel est votre plat préféré de la cuisine juive ?
J.E. – Le couscous de ma mère !
A.I. – J’ai le bonheur de compter dans ma famille de somptueux cuisiniers et cuisinières qui font des merveilles. Je pourrais citer plusieurs grands classiques  : dafina, artichauts farcis, mais pour être original, je pense que je vais choisir l’assortiment d’entrées et de salades cuites tout à fait remarquables, parfois parfumées à l’huile d’argan.